LE PROJET «ETHNOTANGO»
Avant-propos
L’article reproduit par TangoCité ci-dessous, avec l’aimable autorisation de la Fondation Seligmann (www.fondation-seligmann.org) a été publié dans la revue de la Fondation «Après-demain» N° 16 d’octobre 2010.
Son auteur, Ouafia Sellam, est professeur de Lettres modernes et de Français langue seconde en classe d’accueil au collège Valmy, Paris 10e. Il concerne la réalisation du projet EthnoTango proposé par l’association TangoCité au collège Valmy et la manière dont un second projet – le clip «Moi je suis Paris Tango» – mené conjointement par Ouafia Sellam autour du patrimoine parisien, s’est adossé à ce travail.
Le collège Valmy se situant dans un des quartiers «Politique de la Ville», le projet EthnoTango a pu être financé grâce à une subvention Etat-Ville de Paris allouée à TangoCité par la Délégation à la Politique de la Ville. La Mairie du 10e et le collège Valmy ont également contribué, financièremlent à la réussite du projet EthnoTango.
Ce projet ainsi que le clip réalisé par la classe d’accueil du collège Valmy Paris 10e – en partenariat avec la Maison du geste et de l’image – ont bénéficié, en outre, du soutien de la Fondation Seligmann par l’attribution de deux bourses au collège « pour deux projets remarquables, favorisant la tolérance et l’intégration d’élèves primo-arrivants » (cf revue Après-demain, d’octobre 2010, page 43).
Prologue
La classe d’accueil dont j’ai la charge depuis dix ans au collège Valmy (Paris 10e) nécessite une démarche pédagogique particulière. Accueillir des élèves allophones venus tout récemment de pays très divers pour des raisons, le plus souvent, économiques ou politiques, implique une grande attention de la part des enseignants. Il apparaît prioritaire de réserver à ces adolescents déracinés, en situation sociale et affective vulnérable, une écoute et une considération accrues. Acquérir la langue du pays d’accueil, assimiler les contenus scolaires pour intégrer ensuite une classe ordinaire ou un cursus professionnel, ne peut se faire sans la conscience d’avoir une place à prendre au sein de la communauté française.
Pour aider ces élèves migrants à se sentir bien dans leur nouveau milieu et à appréhender leur apprentissage dans une optique de réussite, la mise en oeuvre de projets pluridisciplinaires à caractère artistique me semble une solution appropriée. C’est pourquoi, chaque année, en tant que professeur de « Français langue seconde », j’entreprends avec mes collègues un travail fédérateur suscitant l’esprit d’initiative, le comportement citoyen et l’expression de la sensibilité de chaque apprenant.
Au cours de l’année 2009-2010, la classe d’accueil était composée de 17 élèves venant de quatre continents et 12 pays (une Serbe, un Bulgare, une Russe, deux Algériens, deux Marocains, deux Tunisiens, un Mauricien, trois Chinois, un Bangladais, une Brésilienne, une Équatorienne, une Vénézuélienne ). Un tel mélange invitait à un travail interculturel.
Acte 1: le projet EthnoTango
Lorsque Francine Loiseau, présidente de l’Association TangoCité, m’a proposé le projet EthnoTango, j’ai spontanément accepté l’aventure, pressentant qu’elle conviendrait à ces enfants: l’ethnologie permettait d’aborder les différences culturelles et la tolérance tandis que l’étude du tango permettait d’appréhender l’histoire de l’immigration, les échanges interethniques… Autre atout: la pratique de la danse me paraissait à même d’ aider les adolescents à mieux apprivoiser leur corps et le rapport au partenaire. L’adhésion de certains de mes collègues et le soutien de mes chefs d’établissement ont donné une impulsion à cet itinéraire pédagogique.
Le projet s’est articulé en plusieurs étapes:
– des rencontres avec un ethnologue (quatre séances de 2 heures)
– des cours de danse (dix séances de 1 heure consacrées à l’apprentissage du tango suivies de cinq séances de 1 heure pour la préparation d’un spectacle)
– l’apprentissage de trois chansons de tango (deux en espagnol et un en français)
– la représentation d’un spectacle de fin d’année: «Le tango n’a pas de frontières»
L’atelier d’ethnologie
L’atelier d’ethnologie était surtout un lieu de discussions, de débats où chacun pouvait parler en toute confiance sans crainte de dire une bêtise ou d’être jugé. Cet espace d’expression libre, extrêmement bien orchestré par l’ethnologue Mourad Hakmi, s’appuyait sur des extraits de films évoquant divers aspects du tango: l’immigration des Européens en Argentine vers la fin du dix-neuvième siècle, la transmission aux plus jeunes par les anciens de cette culture, la régulation de la violence par la danse … Quoi de plus éloquent, pour mes élèves migrants, de s’entendre dire que le tango fut un moyen d’exister dignement pour des émigrés déboussolés dans leur pays d’exil!
L’atelier de danse
Cette entreprise était une gageure: aider, pas à pas, les élèves à vaincre leur timidité, à s’exposer au regard du groupe, à surmonter leurs inhibitions, leurs appréhensions vis-à-vis de l’autre sexe ou d’une autre origine, à combattre leurs préjugés vis-à-vis de la danse…
Lors des premières séances, pour favoriser l’approche et ne pas froisser les susceptibilités, les élèves ont pu choisir librement leur partenaire. Le professeur de tango s’attachait prioritairement à mettre à l’aise l’apprenti-tanguero ou tanguera, en le laissant choisir son partenaire, du même ou de l’autre sexe. Il arrivait parfois que certains jeunes ne souhaitent pas danser ensemble pour des questions d’humeur, de sexe, de niveau de danse, d’antipathie ou même de discrimination raciale sous-jacente, mais l’enseignante, par son tact, parvenait à faire danser tout le monde.
L’interaction des ateliers
Ces ateliers de tango étaient relayés par les moments de discussions animés en classe de français par l’ethnologue. À partir des séquences filmiques, les élèves exprimaient leurs points de vue et leurs sensations à propos de leur pratique du tango:
– la difficulté à exécuter les pas et la peur d’être ridicule aux yeux des camarades;
– la complexité d’incarner le rôle de guidé(e) ou de guideur/ guideuse;
– le problème de gestion de l’espace pour danser ensemble dans le respect des autres;
– les complexes par rapport à sa propre image corporelle;
– le refus ou la peur de danser avec X, « parce que X était comme ci ou comme ça ».
Les ateliers d’ethnologie ont rapidement porté leurs fruits: les quelques réticences des uns à danser avec d’autres avaient quasiment disparu à l’issue de ces rencontres. Les élèves n’avaient plus le réflexe de choisir ou d’essayer d’éconduire un partenaire: danser avec celui ou celle qui se présentait, là, dans le cercle, à proximité, était devenu naturel.
Acte 2: un clip musical sur Paris
Dans le même temps, un second projet, autour du patrimoine parisien, s’est adossé à ce travail EthnoTango.
En partenariat avec la Maison du Geste et de l’Image (MGI), était envisagée la réalisation d’un film d’animation musical mettant en scène les monuments et sites de Paris. Pour lier les deux projets, le choix de la bande-son par les élèves s’arrêta sur la chanson de Guy Marchand, « Moi, je suis tango », sur une musique d’Astor Piazzolla.
Le film, conçu tout au long de l’année scolaire, s’est élaboré au terme de plusieurs phases: la recherche documentaire sur les monuments, de nombreuses visites de sites préalablement choisis par les élèves, l’élaboration de dessins, de peintures et de photos pour la fabrication collective de grands décors déroulants, l’écoute de chansons sur Paris… À l’issue de multiples échanges, nous avons « parisianisé » la chanson de Guy Marchand «Moi, je suis tango» (par exemple, le dernier couplet de la chanson originale « Même si Je n’ai jamais eu d’humour, Il ne m’en faut pas Pour te faire l’amour, Je te serai Toujours fidèle Comme je le suis À Carlos Gardel » a été remplacé par » Paris Ton jardin du Luxembourg L’île de la Cité Et surtout Beaubourg, Je te serai Toujours fidèle Comme je le suis À Carlos Gardel Comme je le suis À la tour Eiffel »). Parallèlement, sous la conduite du réalisateur Denis Garcher, les élèves ont été initiés à la caméra et à l’élaboration d’un story-board (scénario) qui jouait, entre autres, sur l’association de portraits d’élèves aux monuments mis en scène.
Les bénéfices
Le clip «Moi, je suis Paris tango» a alors été l’occasion, pour chaque élève, de s’approprier Paris et d’en donner, par la création plastique, sa propre perception: « Pour moi, Paris, c’est ça… Je vois Paris comme ça… « .
L’interdisciplinarité fut un élément majeur dans cette entreprise qui a convoqué la sensibilité, l’expression artistique des élèves et leur découverte culturelle. Dans le cadre du travail d’équipe, les professeurs d’arts plastiques, d’éducation musicale, de français et la documentaliste ont consacré une grande partie de leurs séances à l’élaboration du film.
Le fait qu’une bonne partie de l’équipe pédagogique se soit mobilisée autour de cette aventure a donné du prix au travail des élèves. Combien de fois m’ont-ils manifesté leur gratitude pour l’intérêt que les adultes leur témoignaient !
Par la suite, le tournage image par image et le montage du film ainsi que l’enregistrement de la chanson dans les locaux de la MGI leur ont procuré beaucoup de fierté.
Epilogue
Une consécration pour ces élèves d’origine étrangère
Deux spectacles ont été présentés: l’un au collège le 24 mai 2010, l’autre à la salle des Fêtes de la Mairie du 10e arrondissement le 4 juin: démonstration de tango, projection d’un film sur l’atelier de danse, chansons de tango, projection du film d’animation «Moi, je suis Paris tango».
Les élèves, extrêmement motivés, ont participé avec enthousiasme à ces deux événements, heureux de montrer le résultat de leur apprentissage. L’énergie déployée autour de cette manifestation a été partagée par de nombreux enseignants ainsi que nos partenaires (La présidente de TangoCité, Francine Loiseau, le professeur de danse, Marie-Dominique Xerri, l’ethnologue Mourad Hakmi, le réalisateur Denis Garcher…).
À l’issue du spectacle en mairie, un bal tango était ouvert à tous, élèves et invités (parents, professeurs, personnels du collège, élus…), assorti d’un buffet constitué de plats du monde confectionnés par les familles.
Les adolescents, guidés au départ par la communauté des adultes, ont fini par prendre, eux-mêmes, leur spectacle en charge. A la mairie, chacun a merveilleusement joué le jeu, assumant seul son costume d’artiste, apportant une spécialité de son pays pour le buffet, et invitant après le spectacle les membres de l’assistance pour le bal tango.
Leurs parents semblaient ravis tout comme les collègues et moi-même.
Bouquet final
Les deux projets portés par la classe d’accueil remportaient le 21 mai dernier deux bourses de la Fondation Seligmann, et le film «Moi, je suis Paris tango» un prix «Mention spéciale du Jury» dans le cadre du 2e Festival parisien du film scolaire et périscolaire le 17 juin 2010.
Ouafia Sellam
professeur de Lettres modernes et de Français langue seconde
en classe d’accueil au collège Valmy, Paris 10e
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